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Déclaration du Comité d’action

Notre comité existe afin d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID-19 tout en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se soutiennent mutuellement guident tous nos efforts.

Rétablir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones

Le 31 juillet 2020, le Comité d’action a entendu les exposés de quatre personnes-ressources ayant une expérience de premier plan dans les activités judiciaires des communautés nordiques, éloignées et autochtones : la juge en chef Louise A. Charbonneau, de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest, la juge Mary McAuley, de la Cour provinciale de la Saskatchewan, M. Douglas White, président du BC First Nations Justice Council et le Dr. Allen Benson, président du Native Counselling Services of Alberta. On leur a demandé de parler des différents impacts de la pandémie de la COVID-19 sur la prestation des services judiciaires au sein des communautés qu’elles connaissaient le mieux et de faire part de leurs idées concernant le rôle que le Comité d’action pourrait jouer en appui au rétablissement sûr des services judiciaires dans ces communautés.

Les exposés ont souligné le fait que les expériences au sein des différentes communautés varient grandement selon leur emplacement, leur démographie et leurs ressources, et ont insisté sur le caractère unique des défis auxquels est confronté le secteur juridique dans chaque communauté. Certains thèmes importants ont tout de même été relevés. Le Comité d’action a entrepris l’étude de ces thèmes en vue de contribuer à faire la lumière sur les besoins des communautés nordiques, éloignées et autochtones alors qu’elles songent à rétablir leurs activités judiciaires.

La résolution des problèmes du secteur juridique qui nuisent aux communautés nordiques, éloignées et autochtones exige nécessairement les efforts coordonnés de plusieurs paliers de gouvernement, y compris un rôle de premier plan pour les peuples autochtones. Plusieurs des solutions nécessaires au rétablissement des activités judiciaires seront trouvées à l’échelon local et seront le fruit de la communication et de la collaboration entre les juges locaux, les juges en chef, les leaders communautaires, les administrateurs des tribunaux, les professionnels de la santé, les conseillers juridiques, les fournisseurs de services sociaux, etc. Conformément à son mandat, le Comité d’action souhaite néanmoins souligner les défis et sujets de préoccupation communs qui sont ressortis lors des exposés qu’il a entendus. Le Comité d’action souhaite également définir des principes et des recommandations de changement qui pourraient permettre de surmonter ces défis, et ce tout en tenant compte des directives de santé publique, protocoles et règlements qui sont en place. Il convient de noter que même si ces principes et recommandations visaient initialement à répondre aux défis de l’administration des tribunaux des communautés nordiques, éloignées et autochtones durant la pandémie, leur pertinence va audelà du présent contexte et ils peuvent orienter la prise de décisions entourant la promotion de l’accès à la justice.

1. Défis et sujets de préoccupation communs

Même si les personnes-ressources qui ont présenté leurs exposés devant le Comité d’action provenaient de différentes régions et communautés, les défis et sujets de préoccupation communs suivants ont été mis en évidence :

  • Même avant la pandémie, les participants aux procédures judiciaires dans les communautés autochtones et éloignées – les accusés, les contrevenants, les victimes et les témoins – éprouvaient souvent de la difficulté à trouver des services et des fournisseurs de services dont ils avaient besoin aux fins d’intervention, d’accompagnement au tribunal et de guérison. Les obstacles à l’accès à la justice qui ont été causés par la pandémie, notamment les retards et l’arrêt des procédures judiciaires, ont eu un impact disproportionné pour ces communautés et ont exacerbé les défis auxquels elles étaient déjà confrontées. Les principaux obstacles comprennent un manque de ressources à l’échelon local et de capacité pour mettre en œuvre les mesures de santé et de sécurité requises pour rétablir les activités judiciaires. De plus, les méthodes d’administration de la justice qui correspondent aux priorités et besoins des communautés autochtones – notamment la justice réparatrice – peuvent être difficiles à adapter aux solutions de rechange, comme les procédures à distance. Les communautés autochtones qui étaient déjà disproportionnellement exclues d’un véritable accès à la justice ont vu cette exclusion s’aggraver.
  • La distribution inéquitable des ressources technologiques (notamment l’accès à un service fiable de téléphone, de téléphone cellulaire et d’Internet) exacerbe l’accès inéquitable à la justice (notamment, les activités judiciaires, les audiences et la possibilité de parler à un avocat ou à d’autres intermédiaires), alors que la pandémie entraîne une plus grande dépendance aux technologies utilisées en remplacement des procédures en personne. Les disparités découlant de l’accès inéquitable aux technologies sont exacerbées par d’autres facteurs socio-démographiques qui sévissent, de façon disproportionnée, au sein des communautés nordiques, éloignées et autochtones, notamment la pauvreté, la pénurie de logements stables et les barrières à l’alphabétisation. Même si les technologies peuvent être des outils puissants pour favoriser l’accès à la justice, et elles se sont déjà avérées efficaces, ces disparités doivent être prises en compte.
  • De nombreuses personnes vivant dans les régions rurales et éloignées ressentent une grande anxiété face à la reprise des activités judiciaires au sein de leurs communautés. Elles craignent que les juges, le personnel du tribunal, les conseillers juridiques et les parties qui proviennent de l’extérieur introduisent et répandent la COVID-19. Ces craintes s’expliquent notamment par les effets dévastateurs des pandémies précédentes pour les communautés autochtones, et par le fait que plusieurs communautés nordiques et éloignées n’ont pas facilement accès aux services de santé, aux équipements de protection et aux autres ressources essentielles pour répondre à une éclosion de la COVID-19. Le respect envers les personnes aînées étant une valeur profondément ancrée au sein de plusieurs communautés autochtones, les risques accrus de la COVID-19 pour ces personnes augmentent les préoccupations concernant l’exposition possible à la COVID-19.
  • Les préoccupations relatives aux risques pour la santé, aux délais ou aux incertitudes découlant de la participation à un procès pourraient influencer le plaidoyer des accusés au criminel, notamment quant à sa sincérité.
  • Pour les accusés et les détenus, le fait de se fier à d’autres autorités, hors du milieu judiciaire, pour faciliter l’accès à distance aux procédures judiciaires est problématique, et ce notamment en raison de l’expérience coloniale et d’autres expériences qui ont engendré de la méfiance entre ces autorités et les peuples autochtones.

2. Principes et recommandations de changement

Afin de mieux coordonner et guider les efforts pour répondre aux défis et préoccupations, le Comité d’action reconnaît l’importance d’entreprendre un véritable dialogue et de développer des relations respectueuses. La présence de ces deux éléments est primordiale pour le succès des solutions envisagées. Ainsi, le Comité d’action a défini deux principes clés pour aider à guider des mesures concrètes d’adaptation dans la prestation des services judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones. Ces principes ont en commun l’idée selon laquelle la pandémie devrait être un point tournant vers un meilleur accès à la justice à long terme – la pandémie ne devrait pas donner lieu à de simples mesures temporaires pour répondre à la présente crise. En ce sens, le Comité d’action souhaite souligner ce qui suit :

  • La justice est un service, et non un lieu1 : Les mesures d’adaptation en réponse à la pandémie devraient tendre vers une meilleure compréhension du système de justice, favoriser l’accès à un avocat et éliminer les entraves à la participation aux instances. Ces mesures devraient viser à maintenir le bien-être des différents participants au système de justice, notamment les victimes, les justiciables non représentés et les témoins, qu’il s’agisse de leur santé, de leur dignité ou de la protection de leurs droits. Ce faisant, elles devraient accorder aux personnes une place centrale dans le système de justice (un système axé sur les utilisateurs) et reconnaître qu’elles ont de plus en plus recours aux services en ligne dans plusieurs aspects de leur vie. En définitive, un meilleur accès aux services assure de meilleurs résultats pour tous les intéressés.
  • La justice est la responsabilité de plusieurs : Les juges, les tribunaux et les particuliers s’en remettent aux professionnels du droit pour favoriser et soutenir les mesures d’adaptation du système. Il faudrait par exemple inciter les conseillers juridiques à modifier leur pratique et les modalités de prestation de leurs services pour qu’elles s’arriment avec les mesures prises en matière de sécurité ou d’accès à la justice. Ils pourraient être obligés à faire l’apprentissage de nouvelles technologies, à favoriser les modes de consultation à distance et à participer aux audiences en mode virtuel. Cela peut aussi exiger qu’ils aident leurs clients à comprendre les adaptations apportées au processus judiciaire et à prendre davantage conscience eux-mêmes des défis et des préoccupations propres aux communautés autochtones ou éloignées. Dans la recherche des mesures d’adaptation du système, les gouvernements et les professionnels du droit (juges résidents, juges en chef, administrateurs des tribunaux, procureurs de la poursuite, conseillers juridiques, avocats de l’aide juridique, etc.) devraient établir une relation de partenariat avec les communautés locales et les mesures innovatrices prises en réponse à la COVID-19 devraient s’inscrire dans un processus à long terme visant à accroître les capacités des peuples autochtones en matière d’administration de la justice. En outre, un fédéralisme coopératif efficace est essentiel à la prestation de services de justice de qualité aux communautés nordiques, éloignées et autochtones et, à ce chapitre, on ne saurait sous-estimer l’importance d’une collaboration fructueuse de tous les niveaux de gouvernement concernés, y compris les gouvernements autochtones.

Les défis auxquels font face les tribunaux dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones s’étendent au-delà des difficultés opérationnelles en ce sens que la mise en œuvre de certaines propositions de changement pourrait trouver son complément dans des modifications législatives. On compte par exemple des limites à la possibilité pour les accusés de comparaître par vidéoconférence durant la présentation de la preuve testimoniale, ce qui peut entraver le travail des tribunaux dans les cas où l’accusé ne peut se présenter en personne. Par ailleurs, la possibilité pour un accusé non représenté et en détention de plaider par audioconférence est compromise lorsque l’établissement de détention ne dispose pas de l’équipement de vidéoconférence adéquat. Dans un contexte de pandémie, ces limites s’avèrent encore plus préoccupantes.

Les mesures prises à la lumière du présent document en réponse aux défis et aux préoccupations qui y sont mentionnés devraient refléter les principes formulés plus haut. Les exposés offerts le 31 juillet ont d’ailleurs proposé plusieurs idées de nature non seulement à adapter le système à la nouvelle réalité découlant de la COVID-19 mais aussi à apporter des améliorations permanentes en matière d’accès à la justice. Un thème clé a consisté à trouver comment l’actuelle offre de services globaux en appui aux peuples autochtones dans leurs relations avec le système de justice – tels ceux qui sont présentement en cours de développement sous le régime de la BC First Nations Justice Strategy ou ceux offerts par Native Counselling Services of Alberta – de façon à rejoindre un plus grand nombre de gens grâce à un usage réfléchi et créatif de la technologie. Le BC First Nations Justice Council a recommandé la mise sur pied d’un Centre virtuel de justice autochtone en mesure de fournir des services de justice ou de représentation, des services en matière de dépendances ou de santé mentale et d’autres services d’information ou de soutien aux Autochtones – notamment les victimes – dans leurs relations avec le système de justice. Ce centre offrirait des services semblables à ceux offerts par les établissements physiques mis sur pied sous le régime de la BC First Nations Justice Strategy, mais les étendrait aux communautés éloignées par Internet, par téléphone ou par d’autres moyens technologiques de communication.

À titre de complément à l’expansion des moyens virtuels, les personnes-ressources ont indiqué que des agents de liaison dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones contribueraient grandement à faciliter les relations avec le système de justice. Le rôle de ces agents pourrait inclure :

  • la mise en place et la gestion des moyens technologiques locaux afin de mettre en contact la communauté avec le système de justice en général, assurer les communications avec les représentants des tribunaux, permettre l’accès aux conseillers juridiques en toute confidentialité et en toute sécurité et faciliter la participation aux procédures judiciaires à distance;
  • la communication aux représentants des tribunaux des préoccupations propres à la communauté et de ses besoins avant l’arrivée des juges des cours de circuit, du personnel judiciaire, des avocats et des autres participants aux instances provenant de l’extérieur;
  • la liaison avec les autorités de santé locales, les gouvernements locaux et les représentants des tribunaux en vue de s’assurer que le déroulement des instances au sein de la communauté tienne compte de ses préoccupations.

Ce rôle des agents de liaison se distingue en ce qu’il vise à la fois la prestation de services judiciaires à distance par des moyens technologiques (l’agent de liaison pourrait par exemple veiller à obtenir pour la communauté des moyens de communications sécuritaires pour la participation à distance et/ou mettre à la disposition des intéressés des tablettes ou des ordinateurs pour permettre les conversations privée avec les avocats) et la prestation de services en personne au cours des audiences des cours de circuit. Le Comité d’action retient que plusieurs juges qui président de telles audiences dans les communautés éloignées reconnaissent l’avantage de désigner des membres de la communauté chargés d’assurer la liaison avec les tribunaux, de faciliter les communications, de favoriser la compréhension mutuelle et de veiller à la logistique au sein des communautés en matière de coordination des audiences devant les tribunaux.

Des efforts sont actuellement déployés en matière d'administration de la justice, que ce soit par l’entremise du programme national d'assistance parajudiciaire aux Autochtones et du programme de justice autochtone ou par des initiatives locales de justice réparatrice. La création de postes d’agent de liaison avec la cour devrait, dans la mesure du possible, s'appuyer sur ces efforts existants et les compléter. Puisque les ressources et les besoins des communautés varient considérablement, les agents de liaison avec la cour peuvent être instaurés de plusieurs façons. Dans certains cas, leurs fonctions pourraient s’ajouter aux rôles existants des fonctionnaires et des fournisseurs de services communautaires, tels que ceux qui sont impliqués dans diverses formes du programme d'assistance parajudiciaire aux Autochtones. Dans d’autres cas, des postes d'agents de liaison avec la cour pourraient être créés avec la contribution des conseils de bande, des fournisseurs de services de santé et des organismes gouvernementaux locaux. De nombreuses communautés disposent de réseaux d'expertise et de prestation de services dans lesquels cette fonction de liaison pourrait être efficacement intégrée. Le Comité d’action suggère que cette idée soit explorée par les responsables gouvernementaux et communautaires appropriés, en tenant compte des ressources et des circonstances uniques de chaque communauté et de la nécessité d'assurer une formation et une orientation destinées à assurer une certaine uniformité. Toute mesure prise pour répondre à la pandémie doit contribuer à l’avancement de la réconciliation avec les peuples autochtones, fondée sur la reconnaissance des droits, le respect, la coopération et le partenariat comme fondement d'un changement transformateur.

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1 Ce principe s’inspire en partie des propos de Richard Susskind dans Online Courts and the Future of Justice (Oxford University Press, 2019), partie II: Is a Court a Service or a Place?