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Déclaration du Comité d’action

Notre comité existe afin d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID-19 tout en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se soutiennent mutuellement guident tous nos efforts.

EXAMEN DE L’INCIDENCE DISPROPORTIONNÉE DE LA PANDÉMIE DE COVID-19 SUR L’ACCÈS À LA JUSTICE POUR LES PERSONNES MARGINALISÉES

Avant que les effets de l’accès à la justice — ou de son absence — ne se fassent sentir à l’échelle sociétale, ils se font sentir à l’échelle individuelle, car l’accès à la justice concerne d’abord et avant tout les individus. En effet, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne, chacun a droit à l’égalité de traitement au regard de la loi, ainsi qu’au même bénéfice de la loi. Refuser à des gens l’accès à la justice revient à les priver de leur dignité; cela revient à dire que certaines personnes sont dignes de justice et que d’autres ne le sont pas.

L’absence d’accès à la justice a en outre pour effet d’exacerber les iniquités qui existent déjà.1

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Peu importe d’où vous venez ou qui vous êtes, notre aspiration collective est que vous devriez avoir droit aux protections garanties par la Charte, dont le droit de faire entendre votre voix. Et ces droits ne doivent jamais être tenus pour acquis. L’accès à la justice se trouve, bien entendu, au cœur même de cette vision du Canada. Nous croyons en un pays où tous les Canadiens et les Canadiennes devraient avoir un droit égal aux protections garanties par la loi. Si nous laissons tomber certaines personnes ou certains groupes, non seulement nous les décevons, mais nous ébranlons également notre force en tant que pays.2

L’accès à la justice au Canada est aussi essentiel que difficile à cerner, mais les efforts consacrés à la question se font de plus en plus nombreux, et la pandémie de COVID-19 qui sévit a mis en évidence les difficultés auxquelles sont confrontés de nombreuses personnes au Canada en matière d’accès à la justice, en plus d’aggraver certaines de ces difficultés et d’en créer de nouvelles. D’ailleurs, l’incidence de la pandémie sur l’accès à justice a été inégale, touchant davantage certains pans de la population, plus à risques d’en subir les contrecoups.

Vu ce contexte, le Comité d’action souhaite se prononcer sur la question de l’incidence disproportionnée de la pandémie de COVID-19 sur l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, notamment en ce qui a trait à l’accès aux tribunaux et aux services qui s’y rapportent. Ainsi, par la présente vue d’ensemble, le Comité d’action entend :

  • rappeler certains faits concernant l’accès à la justice au Canada;
  • décrire la situation des personnes marginalisées en matière d’accès à la justice et l’incidence inégale de la pandémie sur ces personnes;
  • offrir quelques réflexionssur la promotion de l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, dont l’accès aux tribunaux et aux services liés aux tribunaux;
  • inviter à la mise en commun des connaissances et des initiatives récentes ou en cours sur la question.

Il ne s’agit pas de la première fois que le Comité d’action se penche sur la question : le document Rétablir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones s’est révélé une entrée en matière particulièrement pertinente. La présente vue d’ensemble explore l’enjeu du point de vue d’un plus grand nombre de personnes et rappellera certains éléments applicables qui figurent dans ce document initial.

1. L’accès à la justice au Canada : une esquisse

1.1. Définition

Depuis quelques années, les définitions de l’accès à la justice foisonnent. Pour sa part, le Ministère de la Justice du Canada parle du fait « [d’o]ffrir aux Canadiens les moyens d’obtenir l’information et l’assistance dont ils ont besoin pour les aider à prévenir les problèmes juridiques et régler de tels problèmes de façon efficace, abordable et équitable, soit au moyen de mécanismes informels de règlement, si possible, ou à travers le système de justice formel, au besoin. » 3 La notion d’accès à la justice est donc de portée bien vaste, allant de la capacité à identifier l’existence même d’un problème juridique jusqu’à son règlement satisfaisant, en passant par toutes les étapes à franchir pour s’y rendre. L’accès à la justice transcende donc le simple accès au tribunal, « c’est le fait d’avoir confiance dans la capacité de ce système d’aboutir à une solution juste — sachant que l’on peut respecter cette solution et l’accepter, même si ce n’est pas celle que l’on souhaitait. » 4 Le présent document repose sur cette vaste interprétation de la notion d’accès à la justice.

1.2. Un investissement

Les coûts associés aux problèmes juridiques sont légions et souvent difficiles à discerner. Ils touchent tant les justiciables que l’État. Les problèmes juridiques impliquent pour les justiciables divers coûts de nature pécuniaire, comme des frais d’avocat, des frais de déplacement ou des revenus perdus. De tels frais peuvent avoisiner les 7,7 milliards de dollars par année au Canada5. Les justiciables sont également confrontés à d’autres coûts, ceux-là non pécuniaires donc moins faciles à quantifier, comme des problèmes liés au stress, des enjeux de santé, des difficultés au travail ou des problèmes familiaux. Pour ce qui est de l’État, les coûts annuels liés aux problèmes juridiques s’élèveraient à quelque 800 millions de dollars en prestations diverses (aide sociale, assurance-emploi ou soins de santé) découlant directement de problèmes juridiques du quotidien5 . En revanche, des données montrent que chaque dollar investi par l’État dans des centres communautaires juridiques peut produire 18 fois autant en bienfaits pour la société7 et que chaque dollar dépensé en aide juridique peut représenter quelque 6 dollars en économies de fonds publics ou dans d’autres domaines8 . Comme quoi les avantages à long terme pourraient bien l’emporter.

1.3. La justice au cœur de notre quotidien : l’importance d’agir

Puisqu’au Canada, on se respecte mutuellement et on respecte l’ordre social du pays, des règles encadrent notre comportement et nous imposent des limites, que ce soit au travail, dans nos rapports de voisinage et même sur la route, pour préserver les droits et libertés de chacun et assurer une certaine cohésion sociale. En contrepartie, la population se heurte inévitablement à des problèmes juridiques. En effet, il est maintenant établi que, sur une période de trois ans, près de la moitié des Canadiens âgés de plus de 18 ans seront confrontés à un problème juridique de la vie quotidienne qu’ils estiment « sérieux et difficile à résoudre » 9 et, de ce nombre, 30 % en connaîtront au moins deux10.

Les ressources dont disposent les justiciables pour régler leurs problèmes juridiques varient grandement. Et si chaque problème peut avoirsa solution, encore faut-il être conscient de son existence. Les problèmes juridiques sont parfois plus ou moins perceptibles, consommés par une autre facette du problème, plus évidente aux yeux du justiciable. Par exemple, la séparation d’un couple représente d’abord et avant tout un enjeu personnel chargé en émotions, mais ses conséquences juridiques sont nombreuses (séparation du patrimoine, garde des enfants, etc.). Il en va de même pour un cas de discrimination au travail (droit de l’employé, responsabilité de l’employeur, etc.). Or, si la justice peut se faire en apparence plus discrète que d’autres aspects de la vie en société — comme la santé, l’économie ou l’éducation — l’omniprésence du droit au Canada est indéniable et ses ramifications diverses. Par exemple, l’employé qui vit de la discrimination au travail peut, de ce fait, souffrir de problèmes de santé physique ou mentale, être forcé à tomber en congé de maladie ou perdre son emploi, ce qui pourrait lui causer des soucis financiers susceptibles d’influer sur sa qualité de vie et celle de sa famille, dont sa capacité à nourrir ses enfants, et ainsi de suite. Le droit interdit la discrimination et peut y remédier, mais il sert aussi à en gérer les conséquences sur la vie familiale de l’employé.

La personne confrontée à un problème juridique doit d’abord trouver à quelle porte frapper pour essayer de le régler. Et elle doit avoir les moyens de le faire. En somme, elle doit pouvoir accéder à la justice, une tâche qui peut s’avérer plus difficile pour certaines personnes, comme celles qui sont marginalisées, très souvent pour des raisons hors de leur contrôle. Par ailleurs, même si la majorité des problèmes juridiques ne se rendent jamais devant les tribunaux, le nombre de personnes marginalisées qui doivent néanmoins interagir avec le système judiciaire et ses services — soit parce qu’elles entament les procédures, soit parce qu’elles les subissent — est non négligeable.

2. La situation des personnes marginalisées pendant la pandémie

2.1. De qui parle-t-on?

Même si les problèmes d’accès à la justice remontent à bien avant la pandémie de COVID-19 et touchent une vaste part de la population à l’échelle du pays, les personnes les plus marginalisées connaissent des difficultés et des iniquités plus importantes à cet égard, et la pandémie a aggravé leur situation. Ces personnes dites marginalisées sont celles qui, en outre des difficultés que pose l’accès à la justice pour tous, doivent conjuguer avec d’autres circonstances, notamment personnelles, susceptibles de représenter pour elles des obstacles additionnels à l’accès à la justice. Voici une liste non exhaustive, dressée dans aucun ordre particulier, des divers groupes dont les membres risquent d’être marginalisés (ou mal desservis) en ce qui touche l’accès à la justice :

  • les personnes se représentant seules devant les tribunaux;
  • les personnes aux prises avec des problèmes de dépendances ou de santé mentale;
  • les personnes âgées;
  • les enfants;
  • les chefs de familles monoparentales;
  • les personnes victimes d’abus;
  • les personnes à faibles revenus ou marginalisées sur le plan socioéconomique;
  • les Autochtones;
  • les personnes issues des minorités racialisées;
  • les personnes 2ELGBTQQIA11;
  • les personnes issues des minorités linguistiques;
  • les personnes vivant avec un handicap physique ou intellectuel;
  • les personnes en situation d’itinérance;
  • les personnes qui ont des difficultés avec la technologie ou qui n’y ont pas facilement accès;
  • les personnes aux prises avec des difficultés d’alphabétisation;
  • les personnes vivant en régions éloignées;
  • les détenus;
  • les immigrants et les réfugiés;
  • les personnes qui appartiennent à tout autre groupe susceptible de subir de la discrimination systématique.

Il convient de noter qu’une personne peut appartenir à plusieurs des groupes ci-dessus et toute piste de solutions valable devra en tenir compte. À titre d’exemple, il est établi depuis longtemps qu’au Canada les femmes représentent à la fois la majorité des chefs de familles monoparentales12 et les principales victimes d’actes de violence conjugale13.

Les circonstances que vivent ces personnes peuvent les exposer à différents obstacles, dont celui d’être plus à risques de souffrir de stress, de problèmes de santé mentale et de dépendances, de ne pas comprendre les problèmes juridiques auxquels elles se heurtent ni les pistes de solutions qui s’offrent à elles, ou de ne pas avoir accès aux services de professionnels, y compris les avocats, ou à la technologie qui peut être requise en raison de la pandémie pour interagir efficacement avec le système de justice. Ces circonstances varieront d’une personne marginalisée à l’autre, déclinant ainsi toute une gamme de difficultés qu’il sera nécessaire de bien comprendre afin de trouver des pistes de solutions prometteuses qui soient adaptées et efficaces. Autrement dit, elles créent des difficultés pour lesquelles il n’existe pas de solution universelle. De plus, les difficultés inhérentes au système de justice, que ces circonstances peuvent exacerber, s’ajoutent à ces obstacles.

Dans le cadre d’une consultation menée par l’Association du Barreau canadien auprès de personnes vivant des conditions marginalisées, les participants ont témoigné du décalage qu’ils ressentent par rapport au système de justice. Selon les principaux constats de cette consultation, ces personnes sont d’avis que les droits juridiques existent seulement sur papier, qu’on ne peut pas faire confiance aux systèmes de justice, que la justice varie selon la personne, et qu’il est difficile de s’y retrouver dans les systèmes de justice 14.

Par ailleurs, si la liste ci-dessus réunit essentiellement des groupes minoritaires, force est de constater qu’une fois réunis, tous ces groupes représentent une partie importante de la population pour qui l’accès à la justice peut s’avérer plus ardu. C’est donc dire que les problèmes d’accès à la justice ne sont pas l’affaire d’une simple minorité de gens.

2.2. L’incidence disproportionnée de la pandémie

Même si la pandémie de COVID-19 n’épargne personne, les plus récentes données confirment que les personnes issues des groupes les plus marginalisés, mentionnées ci-dessus, ont été frappées de façon démesurée. Les personnes marginalisées ont été les plus touchées sur le marché du travail15; elles sont notamment plus nombreuses à occuper un poste de première ligne ou dans des services essentiels, ce qui augmente leur exposition directe au virus et à ses conséquences, en plus d’être plus susceptibles de travailler dans les industries les plus touchées par la pandémie, ce qui augmente leur risque de perdre leur emploi16 . Elles sont également celles dont la santé mentale s’est le plus détériorée depuis le début de la pandémie17 . Ainsi, déjà confrontées à d’importants défis d’accès à la justice, de nombreuses personnes marginalisées se sont trouvées dans une situation encore plus précaire en raison de la pandémie : importante précarité financière et professionnelle (menant à une crainte de ne pas pouvoir respecter ses obligations financières ou à une incapacité à retenir les services d’un avocat); solitude, manque de ressources, violence familiale accrue, problèmes accrus de santé mentale et d’anxiété, notamment en raison de préoccupations à l’égard des membres de la famille, ou craintes d’être victime de discrimination ou de stigmatisation en raison de leur emploi ou de leur appartenance à une minorité.

En outre, bien que justifiées et nécessaires, certaines des mesures prises en réponse à la pandémie pour limiter la propagation de la COVID-19 ont eu pour conséquence malheureuse de limiter dans une certaine mesure l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, y compris leur accès aux tribunaux, en invitant les gens à s’isoler et en forçant la fermeture complète ou partielle de divers établissements, dont les palais de justice, et la réduction ou la suspension temporaire de certains services liés aux tribunaux.

Ainsi, l’arrivée de la pandémie a forcé les tribunaux à annuler ou à reporter la tenue des audiences en personne pour les questions jugées moins prioritaires — et les critères choisis pour départager ces questions de celles qui sont urgentes et prioritaires peuvent entraîner leur lot de conséquences inattendues pour les personnes marginalisées. Au terme d’une certaine période d’adaptation, les activités judiciaires ont pu reprendre en totalité quoique différemment : les audiences se tiennent désormais pour la plupart à distance au moyen d’outils technologiques qui, malheureusement, ne sont pas à la portée de tous. Tout en reconnaissant les efforts considérables déployés par le personnel des tribunaux pour accompagner les personnes marginalisées qui se heurtent à cette nouvelle réalité du système de justice, le Comité d’action estime que d’autres mesures devraient être prises pour appuyer ces personnes, qui peuvent néanmoins connaître des difficultés lorsque vient le temps de frapper aux portes de la justice dans l’espoir d’y trouver une issue juste qu’elles pourront respecter et accepter.

Les retards judiciaires persistent et les règles à suivre changent à mesure que la situation évolue. Pour les justiciables se représentant eux-mêmes, la fermeture des palais de justice a également compliqué l’accès à l’information juridique et au soutien requis pour bien comprendre le processus judiciaire. Pour leur part, les personnes aux prises avec des problèmes de dépendances ou de santé mentale ont souffert des restrictions imposées quant à l’opération des tribunaux spécialisés (tribunaux spécialisés dans les problèmes de santé mentale, tribunaux de traitement de la toxicomanie, etc.) et, en perdant cette partie essentielle de leur réseau de soutien, elles s’exposent à de graves risques de rechute. Les conséquences disproportionnées de la pandémie se font aussi sentir chez les personnes à plus faible revenu pour qui la précarité d’emploi ou de logement a accentué les problèmes juridiques tout en affaiblissant les moyens dont elles disposent pour y faire face.

Il convient de répéter que les conséquences de la pandémie sur la capacité des personnes marginalisées à accéder aux tribunaux et aux services qui s’y rapportent varieront tout autant que les circonstances que vivent ces personnes.

3. La promotion de l’accès à la justice pour les personnes marginalisées

Tel qu’il a été mentionné plus tôt, les problèmes en matière d’accès à la justice ne sont pas nouveaux. Pas plus qu’ils ne sont l’apanage des personnes présentant des circonstances susceptibles de les y exposer davantage, même si les conséquences de la pandémie de COVID-19 en matière d’accès à la justice ont été disproportionnées pour ces dernières. C’est pourquoi le Comité d’action estime qu’il serait opportun de formuler certaines réflexions susceptibles de servir d’orientations générales aux gouvernements ou aux tribunaux qui prennent des mesures pour favoriser l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, y compris leur accès aux tribunaux et aux services qui y sont liés.

3.1. Principes

Depuis le début de pandémie, les divers acteurs du système de justice se sont mobilisés pour mettre en place des mesures visant à offrir un système efficace pour les justiciables, et puisque les problèmes d’accès à la justice précédaient la pandémie, les pistes de solutions proposées devraient perdurer et être à la hauteur de la complexité du problème qu’elles entendent régler; elles ne sauraient avoir vocation transitoire. La tâche est colossale et des efforts y sont déjà consacrés, tel qu’il est décrit plus loin.

Les efforts du Comité d’action depuis sa création visent à promouvoir l’accès à la justice en général, mais en publiant le document Rétablir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones, le Comité d’action s’est penché plus précisément sur l’accès aux tribunaux et aux services liés aux tribunaux pour certains groupes de personnes marginalisées, à savoir les personnes vivant dans ces communautés. En plus d’y exposer certains défis communs que vivent ces communautés — qui ne sont pas sans rappeler les défis mentionnés précédemment auxquelles se heurtent nombre de personnes marginalisées —, le Comité d’action y énonce certains principes qui devraient se refléter dans les mesures prises pour remédier à ces défis : (1) l’utilisateur devrait être au centre du système de justice et des pistes de solutions envisagées et (2) la justice est la responsabilité de plusieurs, qui ont tous leur rôle à jouer.

Ces principes devraient également guider la recherche de pistes de solutions en réponse au problème de l’accès à la justice pour les personnes marginalisées de manière générale.

3.2. Le soutien en appui à la technologie

Si les tribunaux et les administrations partout au pays ont pris des mesures pour favoriser l’accès à la justice pour les personnes marginalisées depuis le début de la pandémie, des intervenants du milieu juridique ont rappelé au Comité d’action que la technologie, quoiqu’essentielle, n’est pas une panacée. Les rapports humains sont tout aussi importants pour apporter aux personnes marginalisées le soutien requis afin de leur assurer un accès à la justice réel et équitable, de réduire le sentiment d’injustice ou de malaise qu’elles peuvent éprouver face au système de justice et de leur donner confiance dans ce système. Il est essentiel de préserver l’aspect humain du système de justice.

Technologie et soutien vont de pair, et les personnes associées au système de justice auront des besoins variés. Certains pourront accéder à la technologie requise d’eux-mêmes, mais auront besoin d’assistance pour l’utiliser correctement ou pour s’y retrouver dans les diverses étapes de l’instance en cours, ce qui pourrait être particulièrement le cas des personnes qui se représentent elles-mêmes. D’autres personnes auront besoin d’aide pour accéder à la technologie, mais pas d’assistance quant au processus juridique, tandis que d’autres auront besoin des deux.

Comme l’indique le document Rétablir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones, la mise en œuvre des éventuelles pistes de solutions aux problèmes d’accès à la justice pour les personnes marginalisées pourrait évidemment nécessiter la mobilisation de nouvelles ressources, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est impossible de mettre à profit les ressources existantes ou que l’on devrait se priver de l’expertise pointue des personnes qui œuvrent déjà sur le terrain auprès des personnes marginalisées. Les programmes de justice réparatrice, l’aide juridique, les services aux victimes et les programmes d’assistance parajudiciaire, entre autres, disposent déjà de personnel, d’infrastructures et de matériel pour venir en aide à certains groupes qui ont besoin d’assistance. De tels programmes sont indispensables et les décisions prises dans ce contexte devraient autant que possible favoriser leur arrimage avec le système judiciaire.

3.3. Des pistes de solutions

Plusieurs des recommandations de changements soulignées dans le document Rétablir les activités judiciaires dans les communautés nordiques, éloignées et autochtones peuvent être adaptées aux autres populations marginalisées, notamment la mise sur pied de centres de justice (virtuels ou physiques) ou l’embauche d’agents de liaison dans certaines communautés. La mise en place de telles ressources pourrait offrir aux populations marginalisées des outils pour pallier leurs difficultés en matière d’accès à la justice et aux services liés aux tribunaux : des guichets uniques de services qui, en plus de reconnaître le lien étroit entre les problèmes de justice et divers autres facteurs connexes, favorisent la collaboration d’intervenants variés dans une démarche holistique de prestation de services. Des guichets qui pourraient offrir des services spécialisés en matière de dépendances ou de santé mentale, du soutien pendant les procédures, des services d’information, ainsi qu’un accès à Internet, à une ligne téléphonique, à des locaux sécuritaires ou aux outils technologiques rendus nécessaires par les audiences qui se tiennent désormais à distance.

Cela dit, bien d’autres avenues s’offrent aux intervenants du système de justice qui souhaiteraient mettre en place des mesures, temporaires ou non, pour limiter l’incidence disproportionnée de la pandémie de COVID-19 sur la capacité des personnes marginalisées à avoir accès aux tribunaux et aux services qui s’y rapportent. Par exemple, l’un des grands défis du moment est d’assurer la présence au tribunal des justiciables se représentant eux-mêmes. Plusieurs oublient qu’ils doivent se présenter au tribunal et leur absence peut occasionner des retards pour toutes les parties. Un employé désigné du tribunal pourrait être chargé de rappeler à ces personnes leurs dates d’audience, dans le but d’assurer leur présence et de répondre à leurs questions.

Des directives pourraient également être données quant à la gestion des instances — avant, pendant et après l’audience — de façon à tenir compte de la réalité des personnes marginalisées et à limiter leurs difficultés en matière d’accès à la justice.

Qui plus est, les tribunaux pourraient envisager de mettre à la disposition du public une salle équipée de la technologie utile pour les audiences. Les personnes marginalisées pour qui cette salle serait utile pourraient s’en prévaloir. Les tribunaux pourraient aussi leur offrir un soutien procédural au terme d’une évaluation proactive des besoins particuliers de chacun. Les données recueillies grâce à de telles évaluations proactives permettraient, à moyen terme, de cerner les besoins particuliers de la population desservie par le tribunal et de mieux planifier les besoins et les mesures à prendre à cet égard.

3.4. Données lacunaires

Au sujet des données, il pourrait être fort utile d’obtenir, d’une manière générale, des données dressant un portrait clair de l’accès à la justice pour les personnes marginalisées au Canada. Des lacunes en matière de données pourraient être comblées en ce qui concerne, d’une part, l’accessibilité des tribunaux et des services s’y rapportant et, d’autre part, l’expérience que vivent les personnes marginalisées dans leurs efforts d’accès à la justice. Il est essentiel d’en savoir davantage sur l’accessibilité des tribunaux et des services — qu’il s’agisse d’accès physique ou d’accès au moyen de la technologie —, sur la vaste gamme de procédures juridiques et administratives auxquelles les personnes marginalisées peuvent se heurter à l’échelle du pays, sur l’accompagnement et les services particuliers qui leur sont offerts dans des circonstances particulières, sur les coûts que représentent ces procédures pour elles et sur la communication et la transparence des décisions dont font l’objet leur litige.

Il serait particulièrement intéressant de voir l’incidence de la pandémie sur cette offre de services, notamment dans le but de déceler les domaines pour lesquelles des mesures s’imposent toujours mais aussi pour constater celles des mesures mises en place depuis le début de la pandémie qui gagneraient à demeurer en place une fois les activités judiciaires revenues à la normale.

Cette collecte de données auprès des différentes administrations du pays pourrait prendre la forme d’un sondage national ou d’une étude ou d’une consultation pancanadienne.

3.5. Conclusion

Enfin, rappelons que les pistes de solutions mentionnées ci-dessus cherchent à régler directement les problèmes d’accès à la justice pour les personnes marginalisées en ce qui touche les tribunaux et les services qui s’y rapportent, tandis que d’autres mesures visant plutôt à démarginaliser ces personnes d’une manière plus générale, notamment en s’attaquant aux inégalités qui les touchent en matière de santé, d’économie ou d’éducation, présenteraient pour elles de nombreux avantages et, selon toute vraisemblance, amélioreraient en amont leur capacité à accéder à la justice.

D’ici là, la pandémie actuelle nous rappelle à quel point il est urgent et nécessaire de se pencher sur les difficultés que vivent les personnes marginalisées face à la justice. Nous avons tous un rôle à jouer pour améliorer l’accès à la justice pour tous et nous nous devons de prendre les mesures concrètes qui s’imposent pour faire en sorte que tous, y compris les plus marginalisés, aient confiance dans le système de justice et s’y sentent bien accueillis.

4. Efforts en matière d’accès à la justice pour les personnes marginalisées : une invitation à l’échange

Pour des raisons évidentes, la question de l’accès à la justice occupe le milieu juridique, les universitaires, de nombreux défenseurs de la justice sociale et diverses organisations de société civile depuis des années. Les travaux, les écrits et les initiatives sur la question abondent, et le Comité d’action souhaite reconnaître l’importance des efforts déployés jusqu’à présent pour endiguer le problème, notamment depuis le début de la pandémie.

Compte tenu de la multiplicité des facettes de l’accès à la justice pour les personnes marginalisées, les efforts peuvent examiner la question de diverses perspectives, à des fins différentes, pour des populations variées. Cela dit, la mise en commun de ces efforts à l’échelle nationale peut favoriser la collaboration et l’échange des idées entre les parties intéressées, éviter une certaine duplication des travaux et être une source d’inspiration pour tous.

Parmi ces efforts, notons au passage le Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, le Réseau de recherche sur l’accès à la justice, ainsi que les nombreuses initiatives entreprises par les comités d’accès sur l’accès à la justice relevant des différents barreaux du pays et par des universitaires et des associations de libertés civiles partout au Canada.

D’ailleurs, puisque la pandémie crée un contexte propice à l’adoption de solutions durables aux problèmes d’accès à la justice pour les personnes marginalisées, le Comité d’action sollicite la participation des intervenants du milieu juridique qui ont récemment entrepris ou terminé des travaux sur la question, particulièrement en ce qui concerne l’accès aux tribunaux et aux services qui s’y rapportent. Ces intervenants sont invités à acheminer au Comité d’action les renseignements utiles à l’adresse suivante : AC-secretariat-CA@fja-cmf.gc.ca.


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1 Très honorable Richard Wagner, C.P. Juge en chef du Canada, allocution d’ouverture, 7e Conférence annuelle sur le travail pro bono, présentée au Sommet de la justice de la Colombie-Britannique, 4 octobre 2018, [non publiée] en ligne : https://www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/rw-2018-10-04-fra.aspx.

2 Réunion annuelle du Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, Notes d’allocution de l’honorable David Lametti, [non publiée] en ligne : https://www.canada.ca/fr/ministerejustice/nouvelles/2019/04/reunion-annuelle-du-comite-daction-sur-lacces-a-la-justice-en-matiere-civile-etfamiliale.html (Montréal, le 10 avril 2019).

3 Ministère de la Justice Canada, Élaboration de l’Indice de l’accès à la justice pour les entités administratives fédérales par Susan MacDonald (Ottawa, Ministère de la Justice Canada, 2017).

4 Supra note 1.

5 Lisa Moore, Les problèmes juridiques de la vie quotidienne et le coût de la justice au Canada : Rapport général, en ligne : Forum canadien sur la justice civile.

6 Ibid.

7 Comité de l’accès à la justice de l’ABC, « Atteindre l’égalité devant la justice : une invitation à l’imagination et à l’action » (novembre 2013) en ligne : ABC http://www.cba.org/CBAMediaLibrary/cba_na/images/Equal%20Justice%20-%20Microsite/PDFs/EqualJusticeFinalReport-fra.pdf.

8 Ibid.

9 Supra note 5.

10 Supra note 5.

11 Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, « Réclamer notre pouvoir et notre place Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées » (3 juin 2019) en ligne : ENFFADA https://www.mmiwg-ffada.ca/fr/final-report/.

12 Statistique Canada, Le Quotidien, (Ottawa, StatCan, 24 juin 2015).

13 Statistique Canada, Le Quotidien, (Ottawa, StatCan, 12 décembre 2019).

14 Supra note 7.

15 Statistique Canada, Une série de présentations de Statistique Canada sur l'économie, l'environnement et la société (Ottawa, StatsCan, 20 septembre 2020).

16 Ibid.

17 Ibid. À titre d’exemple, 27,8 % des personnes issues des minorités visibles ont affirmé avoir connu une diminution de la qualité de leur santé mentale, par rapport à 22,9 % pour les personnes blanches; plus de 50 % des personnes vivant une situation d’invalidité à long terme ont affirmé que leur santé mentale s’était empirée depuis le début de la pandémie; 6 Autochtones sur 10 ont déclaré que leur santé mentale s’était détériorée depuis le confinement; les jeunes de 15 à 24 ans sont 20 % moins nombreux qu’avant la pandémie à affirmer avoir une excellente ou très bonne santé mentale.