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PRATIQUES EXEMPLAIRES POUR PROMOUVOIR LA SANTÉ MENTALE ET LE MIEUX-ÊTRE DANS LES TRIBUNAUX CANADIENS

Déclaration du Comité d’action

Notre comité a pour but d’appuyer les tribunaux canadiens dans leurs efforts en vue de protéger la santé et d’assurer la sécurité de tous les usagers des tribunaux dans le contexte de la COVID‑19, tout en favorisant l’accès à la justice et en respectant les valeurs fondamentales de notre système de justice. Ces engagements qui se complètent guident tous nos efforts. Dans le cadre de son mandat, le Comité cherche à tirer profit des leçons apprises en matière d’innovations liées à la pandémie.

CONTEXTE

S’appuyant sur le Communiqué :S’occuper de la santé mentale et du bien-être en cette période difficile et le Répertoire de ressources en santé mentale et en mieux-être du Comité d’action, le présent document vise à tenir compte des pratiques exemplaires afin d’atténuer efficacement l’incidence de la pandémie de COVID-19 sur la santé mentale dans les tribunaux.

La santé mentale est un élément clé de la santé globale, du bien-être, de la productivité au travail et du maintien en poste du personnel. La pandémie a imposé un fardeau supplémentaire alors que d’importants facteurs de stress étaient déjà présents dans la vie des gens, et ceux qui travaillent dans les tribunaux n’ont pas été épargnés. Ils continuent de subir un certain nombre de pressions quotidiennes qui peuvent nuire à leur santé mentale et, par conséquent, à la qualité des services de justice offerts au public. Par conséquent, soutenir la santé mentale au travail dans les tribunaux n’est plus un luxe, mais une nécessité. Bien qu’il n’y ait pas d’approche universelle, il existe un certain nombre de pratiques exemplaires que les leaders des tribunaux peuvent mettre en œuvre dans la mesure du possible.

DÉFIS

Incidence de la pandémie sur les activités des tribunaux

Non seulement la pandémie a-t-elle créé ou accentué les obstacles liés à l’accès à la justice pour de nombreux usagers des tribunaux canadiens, mais ses effets sur ceux qui y travaillent s’amplifient et se prolongent continuellement. Au cours de la pandémie, la plupart des tribunaux ont adopté une combinaison d’audiences et de services virtuels, hybrides ou en personne. En outre, les modèles de prestation et les procédures connexes ont souvent changé. Dans le contexte de travail dynamique des tribunaux, les juges et le personnel des tribunaux ont dû s’adapter rapidement aux nouvelles technologies. Plusieurs d’entre eux ont également subi les pressions de la pandémie sur leur propre santé mentale et leur bien-être, ce qui a entraîné un nombre sans précédent de congés de maladie, ainsi que des départs à la retraite à tous les niveaux des tribunaux, ce qui a augmenté le fardeau pour le reste du personnel et a nui au recrutement.

Stigmatisation

Les enjeux de santé mentale sont répandus dans toute la société, et les gens qui travaillent dans les tribunaux n’en sont pas épargnés. Ces enjeux demeurent fortement stigmatisés, en particulier dans les milieux professionnels et parmi les employés du secteur de la justice. La stigmatisation peut faire en sorte que les gens aient honte et aient peur d’admettre leur vulnérabilité ou de demander de l’aide parce qu’ils craignent que cela ait une incidence sur leur carrière ou les expose autrement à un jugement ou à un blâme.

Traumatisme vicariant

Un autre défi auquel font face les personnes qui travaillent dans les tribunaux est le traumatisme vicariant qui peut survenir lorsqu’on fait face aux réalités difficiles dont on a été témoin à l’intérieur et à l’extérieur de la salle d’audience. Par exemple, les juges et le personnel des tribunaux peuvent parfois être exposés à des cas difficiles, comme des cas de violence extrême, ou peuvent être exposés de façon répétée à des situations de violence ou de traumatisme. Au quotidien, les juges et le personnel des tribunaux fournissent également des services aux personnes en situation de conflit. Par conséquent, ils peuvent être exposés à des personnes en détresse ou qui manifestent un comportement conflictuel, parfois agressif ou violent à leur égard ou à l’égard d’autres personnes, en particulier lors d’une période encore plus difficile, comme une pandémie.

FAIRE FACE AU DÉFI : PILIERS D’INTERVENTION

Les leaders des tribunaux peuvent aider à atténuer les répercussions de ces enjeux et à soutenir la santé mentale et le mieux-être en milieu de travail en gardant à l’esprit les quatre piliers d’intervention interdépendants suivants :

1. Mettre l’accent sur les solutions de mieux-être en milieu de travail afin de prévenir ou d’atténuer les répercussions négatives sur la santé mentale. L’intégration de pratiques qui favorisent le mieux-être en milieu de travail au quotidien peut améliorer l’humeur et accroître la productivité, la satisfaction et le maintien en poste du personnel, tout en contribuant à réduire les taux d’absentéisme attribuable au stress, à l’épuisement et à la dépression.

2. Continuer d’accroître la sensibilisation et de réduire la stigmatisation associée à la santé mentale. La sensibilisation et la réduction de la stigmatisation associée à la santé mentale peuvent aider à prévenir l’apparition de certains enjeux de santé mentale et encourager les personnes en détresse à demander de l’aide. Cependant, pour ce faire, il faut reconnaître l’existence de la stigmatisation et comprendre ses différentes formes. La stigmatisation peut être structurelle, sociale ou volontaire :

  • La stigmatisation structurelle fait référence à la discrimination systémique, comme les normes culturelles, les pratiques institutionnelles ou les politiques particulières de grandes entités (p. ex. les gouvernements) qui imposent des restrictions aux ressources ou aux possibilités des personnes atteintes ou souffrant d’une maladie mentale;
  • La stigmatisation sociale fait référence aux stéréotypes relatifs aux personnes atteintes d’une maladie mentale. Ces stéréotypes peuvent être délibérés ou même inconscients;
  • L’autostigmatisation se produit lorsque les personnes intériorisent et acceptent les stéréotypes négatifs.

3. Offrir aux personnes qui font face à des enjeux de santé mentale le soutien et les soins dont elles ont besoin en fonction des conseils d’experts. En se renseignant sur les défis liés à la santé mentale, les mesures de soutien et les stratégies connexes visant à promouvoir le bien-être, les leaders peuvent se soutenir eux-mêmes et soutenir les autres, tout en reconnaissant que des conseils d’experts s’imposent. La connaissance des programmes et des services offerts peut aider à orienter les personnes en détresse vers les conseils d’experts appropriés.

4. Prêcher par l’exemple. Les leaders des tribunaux qui donnent l’exemple et favorisent des comportements sains sont des catalyseurs pour la création d’une culture du mieux-être en milieu de travail. Pour faire preuve de vulnérabilité et de leadership empathique, les leaders doivent reconnaître ouvertement les difficultés en matière de santé mentale et adopter des initiatives connexes.

PRATIQUES EXEMPLAIRES POUR LA MISE EN ŒUVRE DES PILIERS D’INTERVENTION

1. Faire preuve de leadership en amorçant des conversations sur l’importance du mieux-être en milieu de travail et de la santé mentale pour accroître la sensibilisation et aider à réduire la stigmatisation associée à la santé mentale. Plus précisément, reconnaître que les enjeux de santé mentale sont une question de vulnérabilité humaine et de circonstances de la vie d’une personne, et non le reflet de son caractère.

Certains assimilent la vulnérabilité à la faiblesse, surtout dans les milieux de travail où les employés sont constamment poussés à fournir un rendement plus élevé que les autres. Cependant, cela a plutôt l’effet contraire. La vulnérabilité offre la possibilité d’avoir des entretiens constructifs qui permettent d’établir des relations de confiance authentiques. Un leader qui est vulnérable n’a pas peur de demander de l’aide au besoin et d'exprimer qu’il éprouve aussi des difficultés. Voici certaines des meilleures stratégies pour promouvoir un milieu de travail sain sur le plan de la santé mentale :

  • Prendre soin de soi en étant conscient de ses propres facteurs de stress ou de ses enjeux de santé mentale, et en prenant des mesures concrètes pour les prévenir ou les contrer;
  • Veiller activement à sa propre santé mentale et physique, par exemple, en faisant de l’exercice régulièrement et en ayant une alimentation saine;
  • Prendre le temps de se détendre lorsqu’on est stressé, surtout avant d’interagir avec d’autres personnes, puisque le stress peut nuire à sa capacité de réagir et d’interagir de façon constructive;
  • Prendre l’habitude de demander fréquemment aux autres comment ils se sentent et encourager les discussions ouvertes;
  • Normaliser les conversations sur la santé mentale en parlant de ses propres difficultés et expériences, ainsi que de ses stratégies personnelles pour maintenir une bonne santé mentale;
  • Décourager activement le langage stigmatisant lié aux enjeux de santé mentale;
  • Prendre des vacances régulièrement et encourager les autres à faire de même;
  • Apprendre à se détendre en dehors des heures de travail, dans la mesure du possible, communiquer le fait que vous êtes en pause du travail et encourager les autres à faire de même;
  • Si vous envoyez des courriels en dehors des heures normales de travail, ajouter une note dans la section de la signature pour encourager les gens à répondre pendant les heures normales de travail;
  • Reconnaître les réalisations professionnelles de façon équitable et en temps opportun;
  • Consulter et utiliser les ressources de soutien disponibles, et encourager activement les autres à faire de même.

2. Élaborer et mettre en œuvre des politiques, des programmes, des procédures et des interventions individuelles, en tenant compte de la santé mentale et du mieux-être et en portant une attention particulière aux personnes qui pourraient être touchées de façon différente par ces politiques.

Dans leurs interventions individuelles, les leaders peuvent promouvoir le mieux-être en milieu de travail en mettant en œuvre des stratégies qui visent notamment :

  • À encourager et à établir des attentes en matière de comportements respectueux et à donner l’exemple, notamment en faisant preuve d’esprit ouvert et de vulnérabilité;
  • À être conscient de facteurs qui pourraient augmenter la prévalence d’enjeux de santé mentale, comme le fait d’être atteint d’un handicap ou d’être membre d'un groupe sous-représenté ou victime de discrimination;
  • À promouvoir les programmes sociaux, le perfectionnement professionnel et les possibilités d’apprentissage;
  • À réserver du temps pour la formation en santé mentale et à consulter les autres sur la façon de mettre en œuvre ce qui a été appris dans la pratique;
  • À discuter des ressources de soutien disponibles, y compris le counseling ou les outils d’autothérapie, et à en encourager l’usage;
  • À mettre en œuvre des pratiques de santé mentale, comme la pleine conscience, les exercices de respiration et la méditation, par exemple lors de réunions, pour aider à réduire l’anxiété et le stress et accroître la concentration et la motivation;
  • À encourager la connectivité avec les autres au-delà de la relation de travail.

De plus, les leaders peuvent jouer un rôle dans l’examen des politiques, des programmes et des procédures en vigueur dans une optique de santé mentale et de mieux‑être afin de recommander des changements au besoin. Les leaders pourraient également préconiser l’adoption d’une optique de santé mentale dans toutes les politiques et décisions futures. Cette optique pourrait viser à intégrer des modèles de mieux-être culturellement sûrs et adaptés, et faire participer les personnes aux prises avec des enjeux de santé mentale à la création et à la mise en œuvre de ces politiques. Par exemple :

  • Divers ressorts, dont la Saskatchewan, la Colombie-Britannique et l'Ontario, ont mis en œuvre des programmes de soutien pour les jurés afin de contrer les effets sur la santé mentale liés à l'exposition à des preuves explicites et troublantes pendant les procès;

3. Prioriser et aborder la transition post-pandémie et les changements apportés au milieu de travail, dans la mesure du possible, conformément aux principes de gestion du changement.

En raison de la pandémie, un certain nombre de pratiques et de procédures judiciaires ont dû être modifiées régulièrement, ce qui a eu une incidence sur les personnes qui travaillent dans les tribunaux, alors qu’elles ont dû s’adapter en conséquence. À mesure que les tribunaux émergent de la pandémie et réorientent leurs efforts vers une modernisation et une transformation plus durables, les leaders sont invités à tenir compte des principes d’orientation du Comité d’action : Leadership et gestion du changement au sein des tribunaux. Les leaders des tribunaux peuvent notamment faciliter la transition post-pandémie par les moyens suivants :

  • Faire le point sur les leçons apprises afin de déterminer les mesures qui devraient continuer de s’appliquer, être abandonnées ou être adaptées pour améliorer les processus de travail au profit du personnel des tribunaux et du public qu’elles servent;
  • Faire participer le personnel touché à ces discussions à toutes les étapes clés et favoriser un dialogue ouvert qui permet de parler de ses difficultés et de suggérer des changements;
  • Informer le personnel de ce qui a motivé les décisions, en particulier si ces dernières diffèrent des recommandations formulées par les personnes touchées, afin qu’elles sentent qu’on a tenu compte d’elles;
  • Consulter activement et régulièrement les personnes qui mettent en œuvre des pratiques, des politiques et des procédures nouvelles ou modifiées, ou qui sont touchées par ces dernières, et les adapter au besoin.

4. Penser de façon créative aux façons de gérer la charge de travail.

Que vous travailliez à distance ou en personne, devoir gérer la charge de travail et les attentes, que ce soit pour vous-même ou pour les autres, peut être un grand facteur de stress en milieu de travail. Voici quelques façons créatives et efficaces de gérer la charge de travail :

  • Commencer par reconnaître qu’on ne peut pas tout faire et établir des attentes réalistes pour eux-mêmes et les autres;
  • Faire le point sur la charge de travail du personnel, par exemple dans le cadre de réunions bilatérales;
  • Communiquer davantage que ce qui vous semble nécessaire;
  • Encourager le personnel à fournir une rétroaction ouverte sur leurs compétences et leur capacité du travail;
  • Mettre en œuvre et communiquer des stratégies en temps opportun pour faire face aux périodes où la charge de travail est plus importante, par exemple :
  • En établissant l’ordre de priorité des tâches et en modifiant les échéances pendant les périodes où la charge de travail est plus importante ou en réponse aux nouvelles priorités, dans la mesure du possible;
  • En établissant des réseaux avec d’autres tribunaux ou niveaux d’instance afin de trouver des occasions de partager ou de mettre en commun des ressources à court préavis, comme pour répondre à des besoins urgents.
  • Reconnaître et apprécier les efforts déployés en période de forte demande de travail, et célébrer les réussites et les réalisations;
  • Agir à titre de mentor et encourager le mentorat, entre autres, pour créer un environnement où les gens peuvent parler ouvertement des enjeux qu’ils rencontrent, gagner en confiance et réaliser tout leur potentiel.

5. Dans la mesure du possible, s’assurer que les gens ont la formation et les compétences dont ils ont besoin pour utiliser les nouvelles technologies et les nouveaux processus mis en place pendant la pandémie ou maintenus après la pandémie.

En réponse à l’utilisation nouvelle ou accrue des audiences virtuelles et de la numérisation des processus judiciaires, les leaders des tribunaux peuvent promouvoir l’accessibilité en temps opportun à des formations pour ceux qui mettent en œuvre ces nouvelles technologies et ces nouveaux processus :

  • En évaluant de manière continue les besoins des usagers des nouvelles technologies et des nouveaux processus;
  • En réservant du temps pour la formation, en sollicitant des idées sur les façons de mettre en œuvre ce qui a été appris, et en favorisant la rétroaction sur les aspects à améliorer ou à modifier.

6. Ne pas oublier les facteurs liés à la santé mentale et au mieux-être des personnes qui travaillent dans les tribunaux et qui continuent de travailler à distance, par choix ou par nécessité. Pour aider à gérer le sentiment d’isolement, prendre le temps de communiquer sur les plans personnel et social avec vos collègues qui travaillent à distance.

Le travail à distance peut causer un sentiment d’isolement et nécessiter l’adoption d’approches adaptées pour promouvoir le mieux-être. Pour ceux qui peuvent continuer à travailler à distance, ou qui peuvent avoir besoin de le faire occasionnellement ou temporairement en raison de circonstances particulières, les leaders peuvent chercher des façons de les aider, notamment :

  • En reconnaissant que le travail à distance réduit la possibilité de percevoir les indices non verbaux;
  • En portant une attention particulière au ton des courriels afin d’éviter les malentendus;
  • En discutant des façons de se distancer du travail de manière efficace en dehors des heures de travail pour mieux établir une distinction entre le travail et la vie personnelle;
  • En invitant les gens à indiquer les mesures d’adaptation spéciales dont ils pourraient avoir besoin en raison de circonstances personnelles et les accommoder dans la mesure du possible;
  • En offrant des occasions de rester en contact virtuellement ou en personne en organisant, par exemple, des activités sociales et des activités de renforcement de l’esprit d’équipe, et en réservant du temps pour mettre en œuvre ces suggestions.

7. Soutenir le personnel des tribunaux qui subit ou risque de subir un traumatisme vicariant

Compte tenu de la prévalence de risques d’exposition au traumatisme vicariant pour les juges et le personnel des tribunaux dans le cadre de leur travail, les leaders des tribunaux peuvent aider à prévenir ou à traiter ces risques :

  • En étant conscient des facteurs de risque, des signes et des symptômes du traumatisme vicariant chez eux-mêmes et chez les autres – ces symptômes peuvent inclure l’irritabilité accrue ou chronique, la fatigue et/ou l’anxiété;
  • En suivant des formations pour mieux comprendre comment identifier, prévenir et répondre au traumatisme vicariant, et en s'assurant que le personnel reçoive également ces formations, surtout s’ils sont exposés à un risque élevé;
  • En consultant régulièrement leurs collègues et le personnel qui sont exposés à des situations de conflit ou de violence intenses ou répétés. Lorsque cela n’est pas possible ou suffisant, on peut chercher à obtenir du soutien professionnel et à recommander au besoin les gens vers les services d'assistance professionnels disponibles;
  • En fournissant des espaces de discussion sûrs où on peut traiter ouvertement de l'incidence de l’exposition aux situations traumatisantes avec des collègues ou des professionnels;
  • En utilisant et promouvant des aides au stress à court terme, par exemple, en prenant des pauses fréquentes lorsque la tension est élevée ou qu'un sujet difficile est abordé, ou en prenant le temps d’écrire ce qu’on ressent pour aider à diffuser les fortes réactions émotionnelles;
  • En encourageant leurs collègues et le personnel à prendre le temps de s'occuper d'eux-mêmes et de prioriser leurs obligations ou leurs loisirs personnels et à prendre des congés de courte durée, ou à plus long terme au besoin.